Open Spaces (6)

Peut-être avez-vous besoin de relire le chapître précédent ? Ou de lire l'histoire depuis le début ?

23h30. Je poursuis mon hate reading en baffrant un bol de nouilles instantanées arôme canard. La marque Yum Yum est vraiment top : leur glutamate est délicieux. Hate reading donc, disais-je. Ben oui, tu crois pas qu’être un connard de compète c’est purement inné! Je ne peux pas me reposer sur mes lauriers si je veux un jour figurer en tête de classement sur troudbal.com. Je cultive donc mon aigreur en lisant tous les articles qui titillent ma haine de la société. Alors, Comment ça marche le hate reading?, t’informes-tu, impatient de suivre mon exemple pour enfin cesser d’aimer ton prochain. T’inquiètes, j’y viens:

Rendons nous d’abord sur un site d’actualité au pif. Vraiment au pif, joue le jeu! BFM c’est de la triche. Scrollons un peu en laissant de côté les news purement factuelles du style Un ouragan ravage le Cotentin, ainsi que l’actualité financière énoncée en termes techniques : ce qu’on cherche, c’est le billet engagé, le journalisme d’opinion, bref, le jugement moral dans toute sa splendeur.

Femmes et bébés à la rue : les roms sont les damnés de la terre. Parfait.

Attend! Ne te précipite pas! Il faut d’abord savourer le titre. Tu te rappelles les analyses de texte en cours de français? J’étais un champion, et je m’en vais de ce pas te montrer à quoi ça sert dans la vie réelle.

Les titres se veulent par nature accrocheurs. Le plus intéressant se trouve donc généralement dans les touts premiers mots. C’est le cas ici avec Femmes et bébés.

Les femmes sont encore malheureusement considérées comme le sexe faible, même si notre bon pays de France les a établies égales des hommes, et qu’il est donc désormais interdit de leur interdire quoique ce soit ou d’en dire du mal au prétexte de leur absence de burnes. Je constate une fois encore qu’il demeure acceptable de les utiliser comme ressort émotionnel. De les considérer ouvertement comme des créatures particulièrement vulnérables pour tirer sa petite larme au bon citoyen démocrate ayant comme il se doit en horreur toute forme de discrimination. Les féministes, moi je ne fais que lancer l’alerte, à vous de la rattraper!

Quant aux bébés, qui sont pour le coup indubitablement des créatures particulièrement vulnérables, ils sont ici également mentionnés à des fins bassement sensationnalistes : le journaliste a sûrement pensé en premier lieu à Femmes et enfants comme dans la formule consacrée. Le terme d’enfants étant déjà dans ce cas une surenchère sur le thème de la faiblesse. A ce stade de sa réflexion, notre bon scribouillard s’est demandé pourquoi ne pas aller au bout des choses : c’est vrai, enfant c’est un peu neutre comme terme. Ça va de zéro à dix-huit ans d’après Giscard! Puis attention, là on parle de roms. Un enfant roms, dans beaucoup d’esprit, c’est avant tout une nuisance qui encrasse les pare-brise : l’enfant roms est à Olivier de chez Carglass ce que le Joker est à Batman. Un bébé en revanche ! Alors ça c’est parfait pour s’assurer l’émotivité du lectorat.