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Ce que je sais

Open Spaces (3)

Peut-être avez vous besoin de relire le chapître précédent ? Ou de lire l'histoire depuis le début ?

18h03.

- Tu me finis ça pour demain ? Me lâche Farid, sacoche en bandoulière, fonçant vers l'ascenseur sans même attendre ma réponse, tant l’éventualité que j’ai une vie privée lui semblerait incongrue.

Ben, non, Farid. Je vais me casser et demain matin quand tu me demanderas ton Powerpoint je te dirai que j’ai juste deux-trois trucs à peaufiner, et je te pondrai from scratch une merde en 20 minutes. Comme d’hab. Tu le sais pourtant non ?

- Au revoir, bonne soirée ! Je lance à la cantonnade.

 

Personne ne me répond. A la revoyure les raclures!

18h06.

Les portes de l'ascenseur se referment mollement derrière moi. J’ai toujours une petite montée d’adrénaline au moment de partir, toujours la crainte qu’on me rattrape, qu’on veuille me voler ma ressource la plus précieuse : mon temps. Après tout, c’est bien connu que les bons clients apprécient un petit geste commercial, et en temps que principal consommateur de mon temps, mon travail se sent souvent légitime à me grappiller quelques minutes de-ci de-là. Mais pas de ça chez moi ! Les bons comptes font les bons amis, mes soirées ne sont pas à vendre, n’insiste pas.

- Hé! Attendez, retenez la po…

Trop tard Soraya.

Je veille toujours à me positionner dos aux portes de l'ascenseur et à regarder mes pieds. J’évite ainsi de croiser le regard de quiconque, y compris dans le miroir. Je peux ainsi prétendre si nécessaire que je n’avais pas vu approcher la personne qui s’égosille pour que je lui garde l'ascenseur ouvert. Pour le coup, le vouvoiement indique qu’elle ne m’a même pas identifié. Parfait. Je déteste être coincé dans un silence moite et gênant avec des inconnus, mais alors avec l’un de mes collègues c’est pire que tout. Les gens sont incapables d’apprécier le silence : on tente toujours de m’entraîner dans une conversation parfaitement inintéressante malgré mes réponses laconiques. Pire encore : si l’on sort de l'ascenseur ensemble au rez-de-chaussée, il est quasiment impossible d’éviter de se farcir la navette ensemble jusqu’à la gare. Et une fois arrivés à la gare, il reste encore une malchance sur deux pour qu’on prenne le même train. L’horreur. La semaine dernière, j’ai préféré marcher pour esquiver ce petit con d’Antoine.

Mais aujourd’hui il pleut : je vais donc essayer de prendre Soraya de vitesse. Je maintien appuyés les boutons du niveau 0 et de fermeture des portes. Le train sera sans arrêt jusqu’à son terminus ! Je me délecte des protestations incrédules que j’entend à travers les portes, au fil des étages. Cette chouette astuce, méconnue du public car la courtoisie la réserve aux secours et à la police, fonctionne avec quasiment tous les ascenseurs. Le plus fun c’était aux galeries Lafayettes : les portes sont vitrées, j’ai donc pu profiter à chaque étage des visages déconfits d’une foule impatiente de foncer vers le shopping, tout en arborant moi-même un air désolé au dessus de tout soupçon.

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