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Ce que je sais

Open Spaces (5)

Peut-être avez-vous besoin de relire le chapître précédent ? Ou de lire l'histoire depuis le début ?

Je sors mon bouquin, American Psycho en ce moment, et commence enfin à me détendre sous le regard courroucé d’une grognasse qui a dû retirer son sac du siège pour me laisser m’asseoir.

- Bonsoir-Messieurs-dames-j’ai-sept-enfants-à-nourrir-dont-un-nouveau-né-je-suis-désolé-de-vous-déranger-mais-si-ceux-qui-ont-la-chance-d’avoir-un-travail-pouvait-avoir-la-gentillesse-de-donner-une-pièce-ou-un-ticket-restaurant-ça-permettrait-à-mes-enfants-de-manger-chaud-ce-soir-dans-ce-bon-pays-qu’est-la-France.

Alors, par où commencer mec ? Pourquoi sept enfants? Pourquoi des enfants tout court d’ailleurs? J’aime pas les mioches. Bon OK. Essayons d’être un peu plus objectif : sept, ça fait quand même beaucoup non? Et puis un nouveau-né, ça veut dire que tu l’as conçu en étant déjà à la dèche si mes calculs sont bons. Ton premier couplet met donc en avant ta conduite carrément irresponsable. Next.

Tu es désolé de me déranger? Mais tu le fais quand même? Arrête de me faire perdre mon temps avec des excuses purement rhétoriques.

Ah, tu ne t’adresses pas qu’à moi mais à tous ceux qui ont la chance d’avoir un travail. La chance. La chance pour moi vois-tu, c’est gagner au loto, c’est une place de stationnement libre sur mon chemin en plein Paris. C’est même, à petite échelle, cette place assise dont se repaît pleinement mon cul si plein de mon travail justement. Je rêve d’avoir la chance de ne plus jamais foutre les pieds au travail. De ne plus avoir besoin de vendre mon temps aka ma VIE pour avoir le droit de bouffer. Alors OK, peut-être que tu échangerais avec plaisir. Peut-être que tu souhaiterais vraiment pouvoir vendre les heures de ta journée pour un toit et un repas chaud. Il est tout à fait probable qu’à ta place je penserais pareil. Sauf que… c’est pas très fair play de relativiser les autres sans leur permission : on a un système pourri, on est majoritairement dans la merde, et c’est pas parceque toi, frimeur, tu as ebola que j’ai de la chance de n’avoir que la tuberculose. Ça serait vraiment cool que dans ce bon pays qu’est la France on passe enfin à la trappe le slogan publicitaire du maréchal Pétain. Regarde ou ça t’a mené gars, travail, famille, patrie. Manquerait plus que tu viennes me dire le travail rend libre, et en allemand s’il-te-plait!

Pour la suite, je serai plus factuel : je n’ai jamais beaucoup de monnaie et mon putain de patron a décidé de remplacer mes tickets resto par une putain de carte, afin de limiter les abus. Ça m’emmerde presque autant que toi, mais si tu as un lecteur de puce, je veux bien me fendre d’un micro-virement. Si tu retires tes propos insensés sur la chance d’avoir un travail, et si tu me promets de garder à l’avenir ton ADN pour ton slip ou les rideaux de la dame.

19h30. Je donne les deux euros que je gardais pour elle à Josette, la petite vieille qui fait les poubelles dans ma rue tous les vendredi, sans rien demander à personne. Des fois elle se rappelle de moi et me fait un brin de conversation. Pas ce soir.

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